Les noms d'albums de Butter Bullets, tandem composé du rappeur Sidisid et du beatmaker Dela, ont souvent été teintés de paradoxe. Voire d'une totale ambivalence. De la "renaissance" Péplum, en 2012, conjugant plutôt un rap de chevaliers, la contrepèterie malicieuse Air Mès et Hermax, en 2017, démontrant l'appétence de Sidisid pour les acrobaties linguistiques, Noir Metal, en 2019, qui n'a rien d'un disque de Burzum (quoique), jusqu'au récent Jazz, en 2023, qui ne fait jamais dans la trompette. Ou cette toute dernière cuvée, Château, laissant entendre que le duo vit aujourd'hui la vie de rêve de Tony Montana. Pourtant, non, pas du tout. Leur rap n'a jamais été aussi anti-commercial, aussi dépouillé, aussi radical. Sans concession, aussi. Et c'est peut-être en cela que Butter Bullets s'impose comme le secret le mieux gardé du rap français depuis plus de 15 ans.
“J’suis 2Pac sans antécédents, j’suis Santana avec ses dents, j’suis la Honda à Kaneda avec le plein d’essence !”, balance Sidisid sur la petite douceur speed Horlogerie Suisse. Cette phase résume parfaitement le style de Butter Bullets. Une succession de références pop cachant, à l’instar d’une punchline du comparse Sameer Ahmad, plusieurs sens. Les antécédents de 2Pac évoquant ses scandales sexuels, la dentition perdue de Juelz Santana rappelant qu’il était le prince de New York fut un temps, le clin d'œil motorisé au chef-d’œuvre de japanimation Akira, enfin, comme pierre angulaire de la culture de Sidisid.
Là où d'autres rappeurs français égrènent bêtement des références pop comme d'autres écrivent leur liste de courses (s/o Freeze Corleone), Butter Bullets synthétise plusieurs couches de la pop-culture. Entre les titrailles géniales des chansons (Cantona à Manchester, LE banger de l’album, L'Amour du risque, citant un classic de la Fonky Family, ou encore Quand Cam'ron portait du rose, en hommage au leader des Dipset). Sans parler des nombreux samples cryptiques, découpés, façonnés, remodelés, débordant d’une nostalgie certaine aux oreilles des auditeurs avertis éduqués par le Club Dorothée.
Il fut un temps, reculé, certes, où Butter Bullets jouait les shampouineurs de la cour de récré à grands coups de phalanges pointues sur le cuir chevelu des bambins des Rap Contenders. On se souvient de leur clash virulent contre le groupe de Nekfeu, l'éphémère 1995, sur la track 2019 (sur un sample d'Akira, encore et toujours) dans l’album Péplum. Sidisid et Dela étaient alors de sales gosses seuls à la maison comme Macaulay Culkin, la pornstar hardcore Eva Lange lovée dans la chambre à coucher parentale laissée vide.
12 ans plus tard, Sidisid renie toute la période pré-Noir Metal, démontrant qu'un artiste peut reconnaître ses erreurs, faire son autocritique puis changer de mentalité. “Ma musique avant Noir Metal c’est de la grosse merde, j’ai dit ‘pédé’ dans des tracks et aujourd’hui je le regrette.”, argue le rappeur sur l’excellente Lu/Approuvé lors d’un beat switch incroyable.
Au lieu de raccrocher les gants, Sidisid et Dela ont décidé de continuer le combat façon Kery James en 2007. Mais en évitant de verser dans un rap de boomers, on les qualifiera plutôt d’old tymers qui font du neuf avec du vieux. Château intronise définitivement Butter Bullets en son royaume. À savoir un rap qui fait fi de la tendance pour aller toujours dans la bonne direction : une seule, la leur.
Ce qui n’empêche pas les deux seigneurs d’assurer leur descendance. En témoigne la passation de pouvoir sur Amour suprême feat. Famille Nombreuse. Qui ça ? Héritiers dégénérés de Sidisid et Dela, biberonnés à Péplum, flegmatiques et insolents comme la fougue de la jeunesse, qui n'ont pas la langue (de pute) dans leur poche.
Finalement, malgré leur absence de l’avant-scène du rap français, le duo évoluant dans l’ombre depuis 2006, vétérans d’un underground à plusieurs paliers, est enfin maître en son château. Et ce nouvel album n'est pas étranger à cette nouvelle étape dans leur carrière. C’est l'achèvement d’un travail acharné, en sous-marin, fourni par deux faux branleurs mais vrais bosseurs.
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